Prostitution étudiante

Se prostituer pour payer ses frais de scolarité?

Cela fait longtemps que nous dénonçons cette expectative à laquelle sont rendues de nombreuses étudiantes en Europe et dans le monde!!!

 Par ELSA BOULET Etudiante en sociologie à l'université de Warwick (Angleterre) , DAVID FLACHER Economiste, directeur du CEPN (université Paris-13 et CNRS), HUGO HARARI-KERMADEC Economiste, IDHE (ENS Cachan et CNRS) , LÉONARD MOULIN Doctorant en économie, CEPN (université Paris-13 et CNRS)
>>  Paru dans Libération du 9 janvier
>>
>> Le journal anglais The Independent a révélé, il y a quelques semaines, l'existence d'un site proposant aux étudiantes un «sponsor» prenant en charge leurs frais d'inscription en échange de rapports sexuels (1). Ce site, qui revendique 1 400 sponsorisées, profite de la situation créée par le triplement récent du plafond des frais en Angleterre, désormais fixé à 9 000 livres (soit plus de 11 000 euros). La prostitution étudiante n'est pas une nouveauté, elle fait même l'objet de campagnes des syndicats étudiants français. Mais la misère étudiante propice à son développement se généralise dans de nombreux pays avec l'explosion des frais d'inscription.
>>
>> La libéralisation de la tarification universitaire et la crise économique forment en effet un piège infernal pour les étudiant(e)s des classes moyennes et populaires : avec la crise, les subventions publiques diminuent, ce qui pousse les universités à augmenter leurs tarifs ; le chômage des jeunes, et en particulier des non-diplômé(e)s, rend les études supérieures pratiquement impératives, même si elles sont chères ; d'où un endettement étudiant qui explose. Aux Etats-Unis, l'endettement étudiant a désormais dépassé les 1 000 milliards de dollars, et arrive en deuxième position des encours de crédit, derrière l'immobilier.
>>
>> L'éventualité d'une nouvelle crise des subprimes liée à cette dette est d'ailleurs sérieusement envisagée. Cette situation est en effet d'autant plus préoccupante qu'elle reproduit tous les mécanismes dénoncés dans le cas des prêts immobiliers «toxiques» qui ont déclenché la panique de 2008. Un récent rapport d'un think tank progressiste américain (2) pointe ces similitudes : titrisation du risque, taux d'intérêt variable, ciblage des familles à bas revenus et peu informées. De surcroît, le gouvernement américain sous-traite la gestion des crédits à des agences qui sont mieux payées pour recouvrir des remboursements de débiteurs en défaut que pour prévenir ces défauts ! Si bien qu'aujourd'hui un(e) étudiant(e) endetté(e) sur six ne parvient pas à rembourser son crédit, le total de la dette étudiante en défaut dépassant désormais la somme des frais annuels d'inscription de tous (toutes) les étudiant(e)s des universités publiques. Et encore, il ne s'agit que des crédits étudiants encadrés par l'Etat fédéral américain.
>>
>> Le cas des Etats-Unis démontre que l'existence de prêts publics répondant à la hausse des frais de scolarité ne permet pas de corriger les inégalités économiques. Même les mécanismes d'accompagnement de ces prêts (remboursement conditionnel) qui repoussent le remboursement après l'entrée dans la vie active et adaptent le niveau de remboursement au revenu, se révèlent peu efficaces. Massivement développés aux Etats-Unis et en Angleterre, défendus par les partisans d'une tarification de l'enseignement supérieur en France, ils permettraient de desserrer la contrainte d'endettement qui pèse sur les étudiant(e) s les plus modestes. Ils posent pourtant deux problèmes rédhibitoires : ils ne semblent pas coûter moins cher à l'Etat que la gratuité des études financée par l'impôt, puisqu'il faut faire face au défaut mais aussi aux frais de gestion et de recouvrement (plus de 1 milliard d'euros en 2011 uniquement pour ce dernier poste aux Etats-Unis) ; ils ne suppriment pas, d'après les études réalisées, le poids de la dette ressenti par les individus des classes moyennes et populaires et les conséquences de ce poids sur la poursuite d'études. Et, de fait, ils n'ont pas empêché les situations les plus extrêmes révélées par The Independent, le paiement des frais d'inscription «en nature» étant une conséquence malheureuse, mais prévisible, du parachèvement de la construction d'un marché universitaire largement financiarisé. Si nous pouvons convenir avec Romain Rancière (Libération du 27 novembre 2012), que Sciences-Po a ouvert cette voie en France en appuyant une part de son financement du supérieur sur des droits d'inscription élevés, nous en tirons une conclusion inverse : mener une généralisation du «modèle» de Sciences-Po aurait des conséquences sociales dramatiques.
>>
>> (1) The Independent : Sex for Tuition Fees Anyone ? Students Being Offered up to £ 15,000 a Year to Cover Cost of University, in Exchange for Having Sex With Strangers, 29 novembre 2012. http://www.independent.co.uk/news/uk/crime/sex-for-tuition-fees-anyone-students-being-offered-up-to-15000-a-year-to-cover-cost-of-university-in-exchange-for-having-sex-with-strangers-8364894.html (2) Center for American Progress, The Student Debt Crisis, 25 octobre 2012.
>
>